VD : Violences et harcèlement-intimidation entre élèves : des situations concrètes aux pistes d’action - 03/2024
Dans la suite du numéro d’octobre 2023, cet article vise à présenter deux vignettes. À travers ces situations, il s’agit d’une part de distinguer les différentes formes de violences et de faire émerger les caractéristiques des phénomènes de harcèlement-intimidation entre élèves ainsi que ses conséquences. D’autre part, elles permettent d’identifier des pistes d’intervention concrètes et de préciser quand et comment la méthode de la préoccupation partagée (MPP) se déploie au sein d’un établissement scolaire.
Vignette 1
Coraly, 10 ans, commence la 7e année dans une nouvelle classe où elle connait des camarades de son ancienne école avec qui elle s’entend bien. Il y a même son meilleur ami dans sa classe, Jonas, avec qui elle pratique le foot en club. Dès les premiers cours, elle prend volontiers la parole pour répondre aux questions, participe activement et fait ses devoirs assidument. Elle fait globalement de très bonnes notes aux évaluations.
Depuis la rentrée des vacances d’octobre, plusieurs camarades la traitent discrètement d’« intellote », en particulier quand il y a des retours de tests ou quand elle prend la parole en classe pour donner des réponses. Au début, elle n’y prête guère attention et ses ami·es interviennent en son sens, mais à la longue la situation se détériore et de moins en moins de personnes prennent son parti quand cela se produit. À chaque fois qu’elle prend la parole en classe, des camarades ricanent, soupirent ou lui lancent des regards moqueurs.
Peu à peu, Coraly se replie sur elle-même. Elle prend moins la parole en classe et essaie de se faire toute petite. Ses notes commencent à chuter. D’ailleurs, elle a même commencé à manquer les entrainements de foot et Jonas s’en inquiète.
En décembre, trois camarades l’isolent après le cours de dessin et lui disent que si elle veut qu’elles et ils arrêtent de l’appeler comme ça, il faut qu’elle leur donne ses fiches de devoirs pour les recopier.
Coraly se sent démunie. Elle aimerait que ça redevienne comme avant et qu’elle puisse être elle-même en classe. Elle décide d’en parler à son enseignant de classe. Celui-ci l’écoute et lui demande si elle en a parlé avec ses parents. Elle répond par la négative, de peur de les décevoir.
Avec l’accord de Coraly, l’enseignant de classe l’accompagne chez la médiatrice, avec qui elle s’entretient. Coraly accepte que la médiatrice appelle ses parents pour définir que mettre en place, ensemble et en réseau, avec Coraly, pour que la situation s’améliore.
Après évaluation de la situation, il est décidé par le groupe pluridisciplinaire de mettre en place une MPP ( méthode de la préoccupation partagée ). Coraly et ses parents sont d’accord et la médiatrice fait le relai. Des entretiens MPP sont mis en place auprès de plusieurs élèves de la classe : les trois qui embêtent le plus Coraly, Jonas, ainsi que deux amis à lui qui ne participent pas à l’intimidation de Coraly. Sur trois semaines, trois séries d’entretiens sont menées par deux intervenant·es avec les six élèves. Coraly est accompagnée en parallèle par la médiatrice.
Plusieurs camarades de classe ne s’étaient pas rendu compte à quel point c’était compliqué pour Coraly et qu’elle vivait mal cette situation. Un mois plus tard, cette dernière s’est améliorée. Coraly retourne au foot avec Jonas et a du plaisir à pouvoir participer en classe.
Vignette 2
Julien, âgé de 15 ans, est arrivé en Suisse il y a quelques années. Il parle avec un accent. Une fois, alors qu’il sort du kiosque situé juste à côté de l’école, à midi, il croise quatre garçons de son école. Il les connait de vue, car ils sont dans une classe sur le même étage. Le groupe commence à se moquer de son accent et le bouscule. Julien perd l’équilibre sous les regards d’autres élèves témoins de la scène, ce qui le met dans une grande gêne et il part précipitamment.
De retour dans la cour d’école en début d’après-midi, il retrouve les mêmes élèves qui se sont moqués de lui et qui lui lancent des remarques telles que « tu devrais faire du cirque », en faisant référence à sa chute. Fou de rage, Julien réplique avec des insultes et des bousculades. Un élève le saisit au cou tandis qu’une autre lui arrache violemment son bonnet et court en disant : « Viens le chercher. » Pendant qu’il est tenu ainsi, deux élèves le frappent, alors qu’une autre élève filme la scène. À ce moment-là, une dizaine d’élèves sont présent·es. Une enseignante qui a vu la scène, intervient.
Après un passage chez l’infirmière scolaire, Julien va dans sa classe, se rend auprès de son maitre de classe qui l’écoute avant de l’accompagner auprès de la doyenne. Cette dernière l’invite à aller parler avec le médiateur.
Après un échange qui a lieu l’après-midi même, impliquant la doyenne, le maitre de classe, le médiateur ainsi que l’enseignante qui a été témoin de la scène, il est convenu que la directrice convoque individuellement les cinq élèves les plus impliqué·es le jour suivant à la première heure, y compris Julien. Une sanction est respectivement donnée à chaque élève, en regard des méfaits qui se sont déroulés sous les yeux de l’enseignante présente ; les parents en sont informés.
Le lendemain, la doyenne passe dans les deux classes concernées pour reposer le cadre, puisque d’autres élèves ont assisté à la scène.
Suite à cet évènement et à la demande de Julien, le médiateur le revoit encore à deux reprises pour l’écouter et lui apporter du soutien.
Analyse
Ces vignettes témoignent de l’importance de bien distinguer les différentes formes de violences qui opèrent en contexte scolaire, en particulier en regard du cadre légal ainsi que du traitement différent qui doit être apporté à ces deux situations. Afin d’identifier l’intervention la plus adéquate, il est nécessaire d’évaluer la situation à plusieurs.
Dans la première vignette, Coraly est la cible de plusieurs élèves qui ont des comportements inadéquats tels que des commentaires rabaissants, des ricanements, des soupirs. Nous observons une répétition de ces comportements dans le temps, ce qui rend la situation asymétrique. Dès lors, et après évaluation menées par plusieurs professionnel·les, la mise en place d’une MPP est pertinente.
En revanche, dans la deuxième vignette, plusieurs comportements adoptés par les élèves sont interdits. Filmer sans le consentement des protagonistes et de surcroit une scène de violences (CC art. 28 & CP art. 135) est interdit. De plus, tenir un élève pendant que d’autres le frappent (CP art. 123, 126, 181) constitue une forme de violences qui va au-delà des phénomènes de harcèlement-intimidation. Ces comportements nécessitent une intervention de la direction. Bien qu’il y ait un effet groupal dans la seconde vignette, il s’agit ici d’une situation isolée, contrairement à la première.
Il est essentiel de distinguer ce qui se produit en dehors du regard des adultes de ce qui se déroule sous leurs yeux, nécessitant une intervention directe de leur part. Par exemple, dans la deuxième vignette, l’adulte qui est témoin de la scène intervient puisque cela se déroule sous ses yeux. Des mesures peuvent être directement prises et des sanctions en découlent, ainsi qu’une information aux parents.
Enfin, il est primordial de ne pas confondre les différentes formes de violences et de prêter attention aux caractéristiques des phénomènes de harcèlement-intimidation entre élèves ( se rapporter à l’article paru dans l’Educateur en octobre 2023 : la répétition, l’inscription dans la durée, l’effet de groupe et l’asymétrie ). •
Jennifer Dayer(-Lugon) et Sonia Lucia, cheffes de projet « Harcèlement-intimidation et violences entre élèves : prévention en milieu scolaire », Unité de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire (PSPS)
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