SAEN - 05/2024
L’éducation a-t-elle raté le virage du numérique ?
Évènement marquant dans notre salle de classe ce printemps : notre bon vieux tableau noir a disparu, remplacé par une tablette blanche équipée d’un projecteur numérique. Si abandonner nos bonnes vieilles craies a été un pincement au cœur, nous avons accueilli ce changement important avec plaisir et curiosité. Toutefois, cela pose certaines questions …
En effet, l’arrivée de nouveaux outils technologiques dans nos écoles ne suffira pas à elle seule à améliorer la qualité de notre travail. Alors, qu’est-ce que tout cela va changer dans notre pratique quotidienne ? S’agit-il simplement d’une modernisation de notre environnement, ou d’une innovation au service de la didactique et de la pédagogie ? Ceci nous questionne à divers niveaux.
Le numérique ne sert-il qu’à rendre la vie des enseignant·es plus compliquée ?
C’est un constat très fréquent dans la bouche de nombreux·ses collègues, à raison. En effet, cet outil qui devrait nous faciliter la tâche l’a rendue bien plus complexe et chronophage. On ne compte plus les heures passées à chercher des formulaires introuvables et à tenter de les remplir, à lire une avalanche de messages, à se perdre dans un océan d’informations pas toujours pertinentes. Le numérique ne devrait-il pas, au contraire, nous décharger de toutes les tâches fastidieuses et répétitives, en nous permettant de consacrer plus de temps aux contacts humains avec nos élèves et à leur suivi individuel ? Quelle est la plus-value réelle de la numérisation de l’école ?
Le numérique n’est-il là que pour mettre la santé de nos jeunes en danger ?
L’usage massif des écrans est une réalité incontournable de notre société, dès le plus jeune âge, et le vecteur principal en est le smartphone. Si celui-ci s’est imposé mondialement avec une telle rapidité, c’est que l’humanité entière y a reconnu un formidable outil de communication, doublé de presque toutes les fonctionnalités de l’ordinateur, disponible (presque) en tout temps et en tous lieux. Condamner le portable et chercher à l’exclure de nos écoles est donc une vaste hypocrisie, puisque tous les adultes l’utilisent sans cesse au vu et au su des enfants. Mais nous ne pouvons pas non plus ignorer les dangers et les dégâts causés par l’abus et le mésusage des écrans, en termes de sédentarité excessive, de relations sociales perturbées, de harcèlement ... Aucun doute, nous devons réfléchir à la meilleure manière de protéger et d’éduquer nos jeunes face au numérique. Mais il faut aussi sans tarder nous pencher très sérieusement sur le potentiel éducatif de cet outil. Car s’il est très utilisé par les professeur·es dans l’organisation de leur travail, il l’est beaucoup moins, et de manière souvent peu organisée, au profit des élèves et de leurs apprentissages.
Le système éducatif suisse a-t-il une chance face aux géants du numérique ?
Sur un plan plus global, ne devrions-nous pas nous inquiéter aussi de l’influence décuplée des entreprises privées sur nos jeunes, par le biais de la publicité et des plateformes sur lesquelles ils·elles évoluent au quotidien ? Nous nous trouvons dans un paradoxe total entre, d’un côté, nos écoles qui cherchent des solutions informatiques locales et, de l’autre, la mondialisation conquérante des géants du net (les GAFAM ou GAMAM). Pourquoi, même dans notre petite Suisse romande, est-il encore impossible de s’entendre pour élaborer ensemble des outils informatiques pertinents et efficaces au service de l’école ? Pourquoi ceci n’est-il même pas un sujet de réflexion au niveau fédéral, faute de département de l’éducation ? Pendant ce temps, nos jeunes passent plusieurs heures par jour sur les réseaux privés et mondialisés d’Instagram et de Tik-Tok … Va-t-on laisser notre école se faire dévorer elle aussi par les GAFAM ? Ou trouvera-t-on les moyens d’utiliser les outils numériques et leur potentiel incroyable afin de les mettre au service de l’éducation ? •
Pierre-Alain Porret, président du SAEN
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