SPG: De la déprofessionnalisation des enseignant·es au nom de l’efficacité néolibérale - 11/2023

SPG: De la déprofessionnalisation des enseignant·es au nom de l’efficacité néolibérale

Partie 3 : De la collaboration empêchée et la dépossession de la gestion de leur formation continue (suite)

 

 

… division des ressources sur le terrain et démantèlement de la formation continue

Le concept de travail empêché est régulièrement invoqué en analyse du travail. Par analogie, pourrait être évoquée ici la notion de collaboration empêchée. Pourtant, ce déficit de posture professionnelle relève d’une autre évolution majeure du système : le délitement de la formation continue. En effet, une collaboration collective qui implique aujourd’hui les équipes pluridisciplinaires en plus des divers acteurs et actrices des établissements scolaires ne peut se construire qu’avec du temps pour qu’elle soit pensée collectivement autour des préoccupations locales spécifiques et de la formation afin de permettre aux équipes enseignantes de développer les compétences nécessaires à l’évolution des orientations et des situations complexes rencontrées dans les classes. Or, du temps, le Département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP) a renoncé à en accorder tant pour collaborer que pour se former. Après la fermeture, en 2010, du Centre de formation continue de Pinchat - qui regroupait des services organisés par secteurs et didactiques où les formateurs et formatrices à l’écoute des besoins du terrain créaient des formations auxquelles les enseignant·es participaient in situ selon leurs besoins et leurs intérêts, sur temps scolaire –, le démantèlement progressif du SEFOD (Service formation et développement) avec l’éviction in fine du poste de sa cheffe de service en 2019, finalise l’atrophie du perfectionnement professionnel déjà mis à mal par la suppression de la formation continue sur temps scolaire. Non seulement, des recyclages obligatoires sont imposés pour s’assurer de la bonne application des méthodes d’enseignement véhiculées par les MER et des formations allant au gré des lubies de notre ancienne conseillère d’État comme pour le fait religieux, mais les questions fondamentales, liés aux droits humains, à la lutte contre toute forme de discrimination et d’exclusion sont absolument exclues de toute réflexion sur la formation. En effet, pour six périodes d'enseignement, un dispositif colossal a été mis en place, alors que les questions relevant des vrais problèmes du terrain, comme la gestion et la dynamique de classe, ne font toujours pas l’objet de formation dans un contexte où de plus en plus de classes dysfonctionnent et d'enseignant·es souffrent d’épuisement professionnel. Par ailleurs, comme nous le savons, depuis la bascule de la formation individuelle hors temps scolaire, la participation proportionnellement aux formations proposées se réduit irrémissiblement. Alors même que le fait de s’inscrire dans un projet individuel et collectif de développement professionnel est une des conditions sine qua non de la professionnalisation des enseignant·es, il est regrettable de voir le SEFCO et le SEE (Service enseignement et évaluation) se conférer la légitimité et surtout l’autorité de déterminer la pertinence des formations que voudraient suivre les enseignant·es tant à titre individuel que collectif. D’ailleurs, l’application ultra rigide d’un cadre abscons tend même à décourager les enseignant·es à développer leurs compétences professionnelles hors de l’offre de plus en plus pauvre et uniformisée du catalogue.

 

Contrôle orwellien ou cadre abscons ?

La conjoncture dans laquelle a été troquée la formation sur temps scolaire contre quelques postes s’inscrit dans une vision purement libérale où l’impact tant sur la posture professionnelle que sur les relations humaines n’a pas été mesuré. Un déni de la dimension invisible de la performance de la formation individuelle et collective, comme le défini Marie-Anne Dujarie r: « la construction d’histoires partagées, les savoirs tacites, et implicites, comme les allants de soi et les routines collectives ( … ) alors qu’ils y contribuent de manière évidente a une contrepartie couteuse. » 1 Dans la perspective d’un modèle à compétence minimale où l’enseignant·e serait perçue comme un·e exécutant·e qui se contente d’appliquer les moyens d’enseignement comme de simples recettes de cuisine, la formation continue relève effectivement d’une importance moindre, sauf, bien sûr, pour normer les pratiques ( recyclages ). L’évolution conjecturable d’une telle vision de l’enseignement est un simulacre de formation prodigué par capsules vidéo proposées dans le cadre d’un e-learning – offrant l’illusion de pouvoir contrôler la participation – sans toutefois permettre l’échange entre pair·es ou expert·es, autour des contenus diffusés. Seules les formations d’établissements se déroulent aujourd’hui encore sur temps scolaire, mais même ces dernières semblent être soumises à des contraintes toujours plus aliénantes et le SFCEO se réserve le droit de refuser les projets de formation dont la plus-value pédagogique n’aurait pas été démontrée ou validée par le SEE, comme « l’école dehors ».

À ce titre, Perrenoud souligne que « les spécialistes des didactiques, des moyens d’enseignement, des technologies, de l’évaluation, de la planification, de la recherche, de l’orientation, de la thérapie médicopédagogique, qui constituent la noosphère » peuvent être tentés à court terme d’accroitre « la dépendance des enseignants pour mieux assoir leur légitimité et leur autorité scientifique ». Tentation renforcée, selon lui, par le fait que leur utilité ne fait pas l’unanimité et qu’ils pensent détenir si ce n’est la vérité, au moins une légitimité scientifique pour expliquer comment enseigner rationnellement.

 

Une déprofessionalisation contagieuse …

Toutefois, ces spécialistes qui peuvent être particulièrement exposé·es, comme dans le cas des CP, sont à leur tour de plus en plus ostracisé·es – l’université se plaint régulièrement d’être progressivement exclue des réflexions et des projets déployés par la DGEO – et doivent comprendre que leur position ne pourra être que renforcée par la professionnalisation du métier d’enseignant·e en contribuant à accroitre simultanément les compétences des enseignant·es, leur autonomie et leur responsabilité et en acceptant la complexité irréductible du métier d’enseignant·e comme métier de l’humain (Cifali, 1994), en accordant un statut respectable au bricolage et à l’improvisation (Perrenoud, 1994) et surtout en valorisant les savoirs d’expériences (Tardif, 1993). J’émets en effet l’hypothèse que ce n’est qu’en traitant les enseignant·es comme des professionnel·les qu’ils et elles se comporteront comme tel·les. Toutefois, aujourd’hui, cette professionnalisation du corps enseignant doit être pensée en parallèle de celle des CP, dont la fonction a été particulièrement malmenée par la dernière législature et dont le collectif, qui était au cœur de son identité professionnelle, a été éclaté dans les établissements et ainsi réduit à néant. En effet, si l’ancienne cheffe de service avait su insuffler une véritable vision à la formation continue en développant notamment des collaborations avec l'UniGE et l'IFE, qui faisait de la fonction de CP un vecteur de professionnalisation, encourageant la réflexivité, l’analyse du travail, la collaboration et participation aux projets de formation, le SEE a récupéré ces ressources phénoménales à son service et bride littéralement le développement professionnel des CP. Cette instrumentalisation des CP induit une perte de sens, dont le résultat relève surtout de la vitrinisation : si de très nombreux tableaux, graphiques, chronologies sont produits et d’innombrables procédures et directives édictées, les CP sont démobilisé·es et déprofessionalisé·es tout comme les enseignant·es. Leur déprofessionalisation découle-t-elle de la déprofessionalisation des enseignant·es ou s’inscrit-elle dans un cadre de déprofessionnalisation globale ?

 

Francesca Marchesini, présidente de la SPG

 

 

1 Marie-Anne Dujarier, Le management désincarné, enquête sur les nouveaux cadres du travail, Éditions La Découverte, 2015, p. 47.

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