SEfFB: Transmettre des clefs pour mieux comprendre le monde - 11/2023
Depuis l’assassinat en 2020 en France du professeur d’histoire Samuel Paty, de nombreuses langues se délient pour insister sur l’impérieuse nécessité d’enseigner cette discipline. Le regard de l’ancien enseignant et directeur des Écoles biennoises Pierre-Yves Moeschler.
Né à Tavannes en 1953, Pierre-Yves Moeschler s’est passionné pour l’histoire depuis son enfance. Licencié ès lettre et titulaire du Brevet de Maitre de gymnase, il a enseigné cette discipline durant près de vingt ans au Gymnase économique de Bienne, au Gymnase de la rue des Alpes et à l’École supérieure de commerce. De 1998 à 2012, il fut aussi conseiller municipal ( socialiste romand ) à Bienne, en tant que Directeur des écoles et de la culture. Depuis sa retraite politique, Pierre-Yves Moeschler honore plusieurs mandats en tant qu’historien. Son avis sur les défis auxquels sont confrontées les personnes enseignant l’histoire est donc d’autant plus intéressant.
Que diriez-vous pour encourager une personne désireuse de se lancer dans l’enseignement de devenir prof d’histoire ?
Pierre-Yves Moeschler : Enseigner l’histoire, c’est faciliter l’acquisition de clefs pour la compréhension de la marche du monde. Les questions d’actualité demandent et suscitent questionnements et réflexions, qu’il s’agit d’accompagner. Analyser le passé, c’est aussi se donner les outils de la compréhension du présent.
Dans un monde « idéal », faudrait-il augmenter le nombre de leçons hebdomadaires de cette discipline ?
L’école publique se doit de former les gens à une vision holistique. Si on veut construire une citoyenneté active, on se doit de favoriser l’enseignement de l’histoire. Mais d’autres branches sont essentielles aussi et il ne faut pas les jouer les unes contre les autres. L’histoire fait partie d’une formation de base. D’autres branches, plus techniques, peuvent être étudiées en fonction des choix individuels.
Existe-t-il des pans de l’histoire plus difficiles à enseigner ? Par exemple la période coloniale ou la Shoah ? Et si oui, pourquoi ?
Je ne vois pas les choses en termes de difficulté. Les chapitres mentionnés sont douloureux et chargés d’émotions. Mais ils doivent être regardés en face, puisqu’ils ont largement contribué à forger le monde actuel.
De plus en plus de jeunes « s’informent » sur les réseaux soi-disant sociaux. Cela complique-t-il l’enseignement de l’histoire dans les écoles ?
L’autorité scientifique de l’enseignement doit être irréprochable. Le recours à internet demande le développement d’un esprit critique aigu, que l’enseignement de l’histoire doit contribuer à édifier.
L’histoire est-elle une science exacte ? Ou pour poser autrement la question : peut-on aujourd’hui enseigner l’histoire de la même manière qu’on le faisait il y a vingt ou trente ans ?
L’histoire est une science humaine, dont les enseignements reposent sur la confrontation des sources. Une distance critique est indispensable dans l’approche historique. C’est du débat permanent que naissent les vérités, elles-mêmes appelées à être reformulées au gré des découvertes et des perceptions.
L’apprentissage de l’histoire permet-il d’accélérer l’intégration d’élèves allophones ou n’est-il pas au contraire un frein, car il pourrait encourager des réflexes communautaristes ?
Il n’y a pas d’« apprentissage » de l’histoire, mais l’acquisition de structures mentales qui permettent d’aborder rationnellement des thèmes du passé ou de l’actualité. Un réflexe communautariste ne peut être le résultat de l’enseignement de l’histoire, mais d’une interprétation de certains éléments choisis. L’enseignement se doit d’être global et inclure différents points de vue. Il peut constater et expliquer le développement de communautarismes, il ne peut pas les nourrir. Une minorité frustrée ira elle-même chercher dans son passé des éléments qui nourriront son sentiment d’injustice et sa volonté d’affirmation de sa prétendue identité. Le communautarisme comprend une dimension émotionnelle qui est un fait historique en soi, mais qui ne découle pas d’un enseignement global de l’histoire. Le débat fait partie de la leçon d’histoire. Si l’expression de communautarismes y surgit, il y a lieu de faciliter et d’encadrer sa formulation. Cela demande des compétences pointues de la part du corps enseignant, dont la sensibilité et la compétence politique ( au sens large du terme ) sont ainsi sollicitées. Un·e enseignant·e d’histoire se doit ainsi d’observer l’actualité politique, sociale, culturelle et économique de manière aigüe et globale. •
Mohamed Hamdaoui
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