Dans la lutte contre le coronavirus, les enfants ont été pris·es, comme nous, dans une série de recommandations faisant naitre dilemmes, injonctions paradoxales, doubles contraintes. Et anxiété.
Les parents ont agi chacun à leur manière pour rassurer leurs enfants. Il n’y a jamais de « bons mots » dans les situations anxiogènes, mais ceux que l’on peut prononcer, rappelle la psychanalyste Claude Halmos. Claudine Bruton-Jeangros (Université de Genève, experte en la gestion des risques dans le domaine de la santé) explique que les États se préparent depuis des années à une telle pandémie (les scénarios sont établis, évalués). Mais ils ne sont et ne seront jamais complètement prêts, la priorité sanitaire devant être première et l’interrogation sur les effets collatéraux aussi. Tout cela donne l’impression d’une cacophonie qui fait grandir l’anxiété. Mais il ne peut en être autrement.
Que tirer alors de cette expérience et des savoirs qui en émergent pour nous, pédagogues, habitué·es à rechercher, dans l’incertitude de l’action éducative, la ligne la plus juste, pour lutter contre une anxiété mortifère chez les enfants ? Ces propositions émanent d’un mixage des pistes données par ces deux spécialistes et de nos expériences de terrain :
- Informer l’enfant en partant de là où il·elle en est :
- lui demander ce qu’il·elle sait déjà
- et ce qu’il·elle imagine
- Éviter ces deux dangers :
- minimiser la gravité de la situation, en croyant rassurer, car l’enfant (qui sent très bien, autour de lui, l’inquiétude des adultes) risque de penser qu’on lui cache la vérité; et qu’on la lui cache parce qu’elle est encore pire que tout ce qu’il·elle imagine.
- faire un tableau terrifiant de la situation pour l’inciter à la prudence.
- Rester factuel. L’enfant, même très jeune, a besoin de savoir :
- qu’un virus circule, qu’on ne le voit pas, mais qu’il peut rendre malade;
- en quoi consiste la maladie que peut propager le virus ;
- comment la maladie se transmet ;
- ce que les autorités médicales recommandent (les conseils ne sont pas des questions d’obéissance mais de prudence) ;
- pourquoi tout le monde est inquiet - expliquer qu’une épidémie est un moment toujours problématique car beaucoup de gens sont malades en même temps. Et que cette maladie, qui n’est pas dangereuse pour la majorité des gens, peut l’être pour certaines personnes dites à risques (les nommer).
- Dire à l’enfant ce qui est rassurant. Ne pas faire semblant qu’on sait mieux agir face au virus que les autorités sanitaires et publiques :
- lui expliquer ce que les médecins, les soignant·es, les scientifiques font pour connaitre, prévenir et soigner la maladie.
- lui dire ce que les autorités décident pour nous protéger (l’arbitraire est inhérent à la gestion du risque). Et pourquoi nous appliquons ce qu’elles décrètent.
- lui dire ce que lui ou elle-même peut – et doit – faire, pour se protéger et protéger les autres.
- Valoriser l’action de l’enfant, du groupe classe et de l’école (ainsi l’estime de soi).
- le·la rendre lucide de sa manière de lutter : « Je, nous participons à la lutte contre la maladie ». En prenant soin de …, en renonçant à … , en menant des actions pour … contre.
- le·la pousser à créer : Ex. communiquer sous des formes diverses avec les personnes isolées – malades ou à risques ; faire des écriteaux les plus drôles possible pour (se) rappeler les consignes de sécurité dans l’école ; inventer mille manières de se saluer, dire son affection, son amour pour freiner l’épidémie (en s’inspirant d’autres peuples, d’autres époques).
- Travailler tout cela en équipe pédagogique pour avoir une certaine cohérence d’école.
- l’histoire des maladies infectieuses et la littérature s’y référant aident à nous faire comprendre que les épidémies renvoyant à notre fragilité et notre vulnérabilité humaine, provoquent du rejet, de la discrimination, mais aussi de la solidarité.
- veiller à enclencher ensemble cette solidarité.
- Comprendre l’importance de notre action pédagogique.
* texte écrit par Etiennette Vellas, pour la Pédagothèque de l'Educateur. Diffusé en primeur ici.