SPG: Du dialogue social et des droits syndicaux - 10/2022
La 18e rencontre du Comité Syndical francophone de l’éducation et de la formation, mi-octobre dernier en Tunisie , a permis de faire le point sur le dialogue social dans nos pays respectifs.
Agnès Bikoko nuance d’emblée : prétendre que le dialogue social n’existe pas au Cameroun constituerait un mensonge, mais c’est sa qualité qui questionne. En effet, si les partenaires s’asseyent bien autour d’une table pour débattre, le sentiment qui en découle est celui d’un futile bavardage aboutissant à des résolutions jamais mises en œuvre ou leur pâle copie dans le meilleur des cas. Un dialogue en demi-teinte donc qui relève plus du faire-valoir dilatoire que d’un espace de discussion réel.
Moustapha Guitteye, du Mali, dénonce un dialogue social sur le papier qui n’intervient qu’en cas d’urgence, lorsqu’un préavis de grève est déposé. Il dépeint également l’incertitude qui plane du fait que les syndicats ne disposent pas d’acquis sur lesquels s’appuyer et des conditions variables du cadre de concertation dépendant des ministres en charge.
Une dégradation partout
Du côté de la Guinée, Kadiatou Bah souligne que le dialogue social au lieu de prévenir les conflits se contente de les gérer. Au Gabon, Fridolin Mve Messa dénonce un dialogue conduit au gré des interlocuteurs. L’actuelle ministre de l’Éducation a en effet instauré une consultation mensuelle pour recueillir les sollicitations des syndicats. Néanmoins, ce fonctionnement ne permet pas de solutionner les problématiques transversales impliquant d’autres ministères, mettant en exergue la nécessité pour les syndicats de pouvoir interagir avec les personnes idoines.
Au Québec, Benoît Lacoursière dénonce également une perte d’accès au ministre du travail et une tradition fortement ancrée du dialogue social pourtant mise à mal par une information lacunaire transmise parfois même par voie de presse.
Marième Sakho décrit son pays comme le champion théorique du dialogue social qui tient surtout à faire bonne figure auprès de la communauté internationale. Si le Sénégal peut se targuer d’avoir institué un comité du dialogue social, ce dernier ne réunit pas les personnes habilitées à prendre des décisions et se voit cantonné au rôle de courroie de transmission, enregistrant les préoccupations des enseignant·es sans pouvoir d’action concret.
Jocelyne Kabanyana rapporte aussi l’existence d’un dialogue social au Burundi. Elle souligne même que si la loi du plus fort y a régné pendant longtemps, les pressions des différentes organisations commencent à changer. Pourtant, elle doit constater une volonté des gouvernants de diviser pour mieux régner en donnant la parole à des syndicats « jaunes », des syndicats pro-gouvernements, fragilisant ainsi les revendications des syndicats historiques.
La richesse et la diversité de ces interventions mettent en exergue un dialogue social dans nos différents pays qui ne répond plus à nos attentes. S’il existe partout, c’est son applicabilité qui dysfonctionne. Il faut malheureusement constater que son maintien n’est jamais acquis et qu’il exige une attention particulière. Le dialogue social s’apparente globalement davantage à une vitrine où les syndicalistes, considéré·es comme des puces, pour reprendre l’image d’Agnès Bikoko, ne sont plus invité·es aux séances où les vraies décisions sont prises. Ainsi, les syndicats des vingt-sept pays réunis par le CSFEF observent unanimement une dégradation du dialogue social et ce partout dans le monde. Comme le souligne Marième Sakho, une confusion transparait de nos diverses expériences entre dialogue social et négociation. La notion de négociation circonscrit toute discussion au niveau des revendications, alors que le dialogue social devrait permettre de dépasser cette dimension. Si nos gouvernants s’acquittaient de leurs devoirs et responsabilités, les discussions d’ordre corporatiste n’auraient pas lieu d’être et nous pourrions construire un espace où seraient discutées les grandes orientations pédagogiques de nos systèmes scolaires.
Un droit entravé
Il n’est pas question ici de minimiser les violences liées aux conflits armés ou à l’instabilité de quelques régimes politiques subies par nos camarades dans certains pays, ni même de tenter une comparaison entre les différents contextes politiques des pays francophones. Il est difficile néanmoins de ne pas entrer en résonance avec notre propre expérience syndicale.
En Suisse, à Genève, le Conseil d’État n’applique plus depuis quelques années la procédure en cas de grève ou d’arrêt de travail. La SPG pour qui la sécurité des élèves est évidemment une priorité absolue ne s’est jamais opposée au service minimum et n’entend pas le faire, mais il n’est pas question qu’elle tolère que la mobilisation soit prise en otage par une gestion abusive de son organisation. Le service minimum permet la prise en charge des élèves dont les parents ne peuvent assurer la garde les jours de grève et ne peut en aucun cas impliquer qu’une prestation d’enseignement puisse être délivrée normalement. Une communication claire doit être envoyée à tous les parents, les enjoignant à garder leurs enfants à la maison dans la mesure du possible afin de faciliter l’organisation dudit service minimum. Un glissement s’est opéré ces dernières années, sous prétexte de ne vouloir empêcher personne de travailler, laissant entendre que les enseignant·es non grévistes pourraient poursuivre normalement leur activité d’enseignement. Or non seulement il peut leur être demandé d’assurer la garde des élèves de leurs collègues grévistes, mais de leur côté, les parents peuvent soutenir la grève en gardant leur enfant à la maison et ce, indépendamment de l’intention de leurs enseignant·es.
Ce glissement s’avère problématique dans la mesure où il accentue probablement à dessein les tensions entre grévistes et non grévistes et où il exige une organisation préalable contraignante, impliquant toujours davantage de personnel, entravant de facto le droit de grève des enseignant·es. La grève représente un droit démocratique reconnu par la Constitution fédérale. Les libertés d’appréciation et de décision quant à son exercice impliquent l’absence de toute contrainte.
Le fait que Pierre Antoine Pretti, porte-parole du Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP), déclare dans la Tribune de Genève le 10 octobre 2022 : « Quant aux écoles, rappelons que les 4-8 ans (1P-4P) ont de toute façon congé les mercredis. Pour les autres, les enseignants doivent annoncer aux parents s’ils font ou non grève ( ... ) « Si l’enseignant ne fait pas grève, les enfants doivent être présents », constitue une entrave particulièrement grave limitant de manière inacceptable le droit de grève des enseignant·es. La SPG rappelle à toutes fins utiles qu’un fonctionnaire n’a pas à prévenir l’autorité de ses intentions quant à l’exercice de son droit de grève. Si pendant quelques mois, le personnel soignant a été applaudi tous les soirs, le fait est que cet élan de gratitude fugace n’aura jamais dépassé le stade d’un engouement collectif limité au temps particulier des confinements. Pour toute reconnaissance concrète, le Conseil d’État propose depuis deux ans de supprimer les annuités des fonctionnaires qui étaient au front pendant toute la durée de la pandémie. Il est d’ailleurs à nouveau de bon ton de fustiger la fonction publique et tout particulièrement les enseignant·es, les éternel·les indolent·es toujours en vacances. Discours, circulant comme un sens commun, largement répandu, qui peut surgir au détour d’une conversation informelle, mais qui occupe largement l’espace médiatique.
Il est tentant de percevoir l’érosion des droits syndicaux des petites maitresses du primaire comme une question triviale, mais ce serait oublier que l’enseignement est une des principales forces vives de toute lutte sociale. En attentant aux acquis sociaux des enseignant·es, le Conseil d’État attaque de fait le droit de grève de l’ensemble de la fonction publique. Enfin, admettre le recul de nos droits, sous prétexte que la situation serait pire ailleurs, affaiblit les luttes de nos camarades d’autres pays qui s’appuient sur certains de nos acquis pour établir un dialogue social avec leurs autorités. En attendant, que dit de l’état du dialogue social à Genève un gouvernement qui ne discute plus avec les partenaires pour prévenir les grèves et qui a de ce fait institué en fin de chaque année civile le spectacle peu réjouissant de mobilisations tournant plus au folklore qu’à une véritable lutte sociale ?
Mais lorsque le conseil d’État négocie enfin et propose d’amender son projet de budget, que dire des quelques associations ( UPCP, UNION et SSP ) qui ont refusé de signer un protocole d’accord, comprenant une augmentation de l’indexation à 2,42 %, le versement d’une annuité rétroactive en cas de comptes bénéficiaires et 488 postes ?
Francesca Marchesini, présidente de la SPG
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