Plein écran - 10/2022
Le 7e art entre enchantement et tendresse
10 invitations offertes pour Ernest et Célestine (Frenetic-Films), Annie Colère (Agora-films), Yuku, la fleur de l’Himalaya (Outside the Box) et 10 albums d’Ernest et Célestine! Expédier nom, prénom et adresse postale à secretariat@revue-educateur.net en indiquant l’objet du désir.
Hymne à la musique, à la fête et à la liberté !
Inspiré de l’album de Gabrielle Vincent, Ernest et Célestine, musiciens des rues, cette deuxième adaptation à l’écran des aventures de la petite souris et de son bougon d’ami ursidé explore la famille et le pays d’origine d’Ernest, la Charabïe. Après un voyage rocambolesque, les deux comparses arrivent en Charabïe pour réparer le "Stradivariours" d’Ernest et découvrent que seule la note do est dorénavant autorisée dans ce pays ! Mais une résistance musicale est menée par un mystérieux MIFASOL que vont rejoindre les deux héros. En plus de la douceur et la fluidité de l’animation, ce bijou filmique prône de belles valeurs telles l’amitié, la solidarité, la liberté de choisir sa vocation et de célébrer librement la musique.
Ernest et Célestine, le voyage en Charabïe, J. Chheng, J.-C. Roger, France, 2022. Aux cinémas dès le 14 décembre.
Un périple initiatique empreint de grâce musicale
Tout commence par une énigme posée par une grand-mère souris à sa descendance : " Au plus je suis grande, au moins on me voit, mais au plus on écoute mon bruissement ! Qui suis-je ? ". D’autres énigmes parsèment ce voyage qu’entreprend la jeune Yuku pour rapporter à sa mamie la fleur à la lumière éternelle. Avec son ukulélé et ses mélodies blues, swing et boogie-woogie, Yuka surmonte tous les obstacles dressés par un bestiaire des plus variés. Joyeux et lumineux ! Cahier d’activités à télécharger : https://www.outside-thebox.ch/yuku/
Yuku et la fleur de l’Himalaya, R. Durin, A. Demuynck, France, 2022. Aux cinémas dès le 30 novembre.
Ode à la solidarité féminine
La sublime actrice Laure Calamy procure un plaisir qui n’a d’égale que l’émotion de découvrir dans leurs œuvres les pionnières du MLAC (Mouvement de Libération de l’Avortement et de la Contraception) à l’origine de la Loi Veil sur l’IVG. Annie, mère de deux enfants et matelassière en usine, s’adresse au MLAC pour se faire avorter. Outre la surprise d’en sortir sans quasi aucune douleur grâce à la méthode Karman par aspiration, elle est sidérée de l’ambiance de bienveillance et de transmission de savoirs sur le corps et la sexualité entre femmes. Cette mise en scène tout en douceur révèle également l’âpreté de la condition féminine en 1973. Une œuvre d’émancipation et de mémoire des luttes contre tous les patriarcats (familial, professionnel, politique). Prix Variety Piazza Grande, Locarno 2022.
Annie Colère, Blandine Lenoir, France, 2022. Aux cinémas dès le 7 décembre.
Bruler sa vie sur les planches
Une salle d’audition dans une école de théâtre : les candidat·es doivent jouer en duo une scène d’un texte classique devant un jury. Certaines comme Stella jouent la carte du paroxysme émotionnel, d’autres comme Clara préfèrent la jouer plus subtil ou comme Étienne avec ironie. Cette école est gratuite, c’est celle de Pierre Romans associé à Patrice Chéreau (incarné par Louis Garrel, incandescent) au Théâtre des Amandiers à Nanterre près de Paris. Pas vraiment une école, mais un lieu d’expérimentations et de recherche permanente. Les apprenti·es comédien·nes se confrontent aux étapes de création d’un spectacle plutôt qu’alterner des exercices et la théorie. Avec son cinquième long-métrage, la réalisatrice Valeria Bruna-Tedeschi a puisé dans ses souvenirs d’ancienne élève des Amandiers pour réinventer cette passion de jouer qui dévore ces jeunes des années 80. Le portrait de cette génération prise entre Éros et Thanatos (amour, drogues et sida) s’entrelace avec un récit d’apprentissage théâtral. Pour Chéreau et Romans, la frontière entre le théâtre et la vie devait s’effacer. En forme d’hommage à ses anciens mentors, Bruna-Tedeschi a créé une troupe de jeunes acteurs et actrices pour ce film. La caméra est au plus proche des protagonistes, de leurs corps et de leurs émotions. Et de leur élan vital. Une formidable immersion dans des histoires d’amour et de groupe. Au rythme des musiques de Janis Joplin, Wallace Collection,Vivaldi, Bach et Liszt. Saisissant !
Les Amandiers, Valeria Bruni Tedeschi, France, 2022. Aux cinémas depuis le 23 novembre.
Poings levés et espoirs rêvés au Chili
Des pavés déchaussés puis balancés sur les forces répressives, des tags dénonçant les inégalités et la paupérisation croissantes, des femmes, des retraité·es, des jeunes, beaucoup sautant et clamant des chansons de Quilipayun ou du collectif Tesis (L’état oppresseur est un macho violeur!), le cinéaste (81 ans) et son équipe captent cette révolte populaire déclenchée le 18 octobre 2019 suite à une hausse du ticket de métro de 30 pesos, mais surtout contre trente ans de politique libérale. En voix-off, le réalisateur Patricio Guzmán fait le parallèle avec les années 1970-72 lors du soulèvement de l’Unité populaire de Salvador Allende. Soulèvement puis le putsch militaire de Pinochet - aidé par la CIA, que Guzmán avait relaté alors dans son premier film La Bataille du Chili. La mémoire populaire de ces années-là avait été transmise de génération en génération durant ces cinquante ans. En 2019, l’espérance a remplacé la peur. Après deux mois de manifestations géantes réprimées avec férocité par l’armée et la police (26 manifestants tués, 2000 blessés), 80 % de la population a voté en faveur du remplacement de la Constitution du dictateur Pinochet. Le Chili que s’imaginait Guzmán en 1972 devient réalité grâce au mouvement de la jeunesse actuelle. Outre les images spectaculaires de foules en liesse chantant Victor Jara, la caméra recueille les témoignages d’une douzaine de femmes - étudiantes, secouriste, aide aux logés précaires, médecin ou photographe, emblématiques de la puissance des revendications féministes dans cette explosion sociale. Une fresque poétique et lyrique de l’histoire en marche.
Mon Pays imaginaire, Patricio Guzmán, Chili/France, 2022. Aux cinémas depuis le 23 novembre.
La chaine infinie entre les mères et leurs filles
C’est l’histoire d’une femme rendue invisible, ni connue, ni reconnue. L’universitaire et solitaire Laurence Koly est dans le box des accusées. Une affaire qui obsède une jeune romancière et prof, Rama, aux mêmes origines sénégalaises que Laurence. La réalisatrice franco-sénégalaise Alice Diop avait vécu cette même obsession en 2015, qu’elle exorcise avec ce premier film de fiction. Rama, c’est Alice, Parisienne débarquant dans cette sous-préfecture du Pas-de-Calais. Elle va suivre le procès de Laurence durant ces quatre jours. Imbriquant une mise en scène très stylisée dans un cadre temporel et émotionnel très documentaire, Diop entremêle également le portrait de cette mère accusée d’infanticide et celui de Rama avec des flash-backs sur son enfance démunie face aux défis intérieurs de sa propre mère. Basé sur un fait réel, ce film dépasse de loin le classique film de procès. La cinéaste offre à chacun et à chacune un miroir qui invite à mieux saisir l’extrême complexité de nos conditions d’agir et de vivre. Laurence Coly reconnait son crime et espère que le procès lui fera comprendre son acte. La justice tout comme la justesse de la mise en scène du film vont révéler les paradoxes, les mystères et les délires de Laurence Coly. Mais elles vont aussi porter la voix d’Élise, sa fille, dont le procès et le film vont révéler l’entièreté de sa courte vie. Et même au-delà quand Élise court se réfugier dans la robe de l’avocate alors en visite dans la cellule de Laurence. C’est le rêve qu’a conté Laurence à son avocate qui démontrera lors de sa plaidoirie finale l’imbrication biologique inextricable entre une mère et son enfant. Un regard envoutant et passionnant sur la condition féminine universelle. Meilleur Premier film, Grand Prix du Jury, Venise 2022 ; Prix Jean Vigo 2022 ; Film représentant la France pour l’Oscar du Meilleur film international 2023.
Saint-Omer, Alice Diop, France, 2022. Aux cinémas dès le 30 novembre.
Secret d’enfance à Naples
Un quinqua débarque à l’aéroport de Naples. Il erre dans les rues, les grandes artères comme les ruelles. Au fil de ses pérégrinations, il se révèle être un natif de cette ville et revient voir sa vieille mère. Durant près de quarante ans, il aura bourlingué en Afrique puis monté une entreprise florissante au Caire où son épouse attend son retour. Il parle arabe et est devenu musulman. Plus ce retour aux sources perdure, plus il aspire à rester définitivement. Ses errances dans son quartier natal, Rione Sanita, particulièrement négligé par les pouvoirs publics, sont entrecoupées de flashbacks où il fait les quatre-cents coups avec son meilleur ami, plutôt un frère, Oreste, qui entre temps est devenu un chef de gang. Malgré les avertissements du prêtre local, fermement engagé contre les exactions des malfrats, Felice persiste à vouloir rencontrer Oreste et lever un secret commun. Le réalisateur excelle à rendre palpable cette friction entre les images que l’on cultive de son enfance et la réalité d’aujourd’hui. Cette adaptation du roman de l’écrivain napolitain Ernammo Rea est servie par une interprétation cinq étoiles avec Pierfrancesco Favino dans le rôle de Felice, des rythmes de jazz (Steve Lacy), des mélodies lancinantes (Tangerine Dream) et des mélopées arabes. La mise en scène de Nostalgia évoque un labyrinthe dans le passé et le présent. "La connaissance est dans la nostalgie. Qui ne s’est pas perdu ne se possède pas", selon Pasolini, cité à l’ouverture du film. Meilleur Réalisateur, Meilleur Acteur, Meilleur Scénario, Syndicat italien des journalistes de films 2022.
Nostalgia, Mario Martone, Italie, 2022. Aux cinémas depuis le 23 novembre.
Saint-Imier, épicentre du temps et du mouvement anarcho-syndicalistes
En 1877, le quotidien d’une bourgade du Jura suisse est chamboulé par des inventions telles le télégraphe, la photographie et le chronomètre. Le réalisateur soigne ses reconstitutions historiques avec un incroyable sens du détail tant dans les rues que dans les horlogeries. Et donne à voir comment ses nouvelles technologies pèsent sur les ouvrièr·es dont chacun des gestes est mesuré à la seconde près sous la pression des patrons … Ce film fascinant opère deux mouvements en décrivant la fabrication minutieuse des montres, à la main, surtout par des femmes, et en dépeignant le mouvement anarchiste naissant s’opposant à l’ordre capitaliste et patriarcal. La caméra suit Joséphine, assembleuse du balancier, cœur mécanique de la montre (en allemand, "Unrueh"), dont le cœur balance pour Pierre Kropotkine, voyageur et cartographe russe, et qui finira par épouser les thèses de l’anarcho-syndicalisme jurassien. C’est donc bien un portrait de groupe auquel nous convie ce cinéaste, descendant lui-même d’une longue lignée d’horlogères. D’une douceur subtile, ce film historique interroge sur cette fin du XIXe siècle qui influe encore sur le temps présent et suggère discrètement d’envisager autrement notre rapport au temps et au travail.
Unrueh, Cyril Schäublin, Suisse, 2022. Aux cinémas dès le 30 novembre.
Une jeune Mère Courage à Téhéran
Une jeune étudiante, Feresteh, demeurant dans un immeuble de Téhéran, reçoit un appel d’un graphiste indépendant pour une maquette qu’elle doit livrer. Puis un coup de fil de ses parents l’avertit de leur arrivée imminente depuis leur province reculée pour un bref séjour chez elle. Feresteh se met dans un état de stress extrême. Ils ne doivent pas savoir qu’elle est mère d’un bébé né hors mariage. Aucune trace du bébé et de ses affaires ne doivent alors rester dans son appartement. Avec sa meilleure amie, Atefeh, commence alors un roadmovie urbain en quête d’une âme charitable pour accueillir le bébé jusqu’à demain. Les deux femmes affrontent tour à tour la peur, l’indifférence ou le chantage comme ce directeur d’hôpital prêt à l’aider contre une compensation. Elle devra s’enfuir avec son amie et le bébé à travers les sous-sols de l’établissement médical. La mise en scène alterne les scènes de répit avec celles d’une fuite sans relâche. Le chaos permanent émanant de la ville est amplifié par une bande-son qui renforce le sentiment de solitude du duo féminin. Cette atmosphère d’interdits, de préjugés et de suspicions qui étouffent ces deux femmes (le film a été tourné en 2021) est révélatrice de la révolte et des aspirations actuelles de la jeunesse iranienne. Feresteh défiera la réalité en affirmant son courage avec force comme les jeunes manifestantes osent braver aujourd’hui le système férocement répressif iranien. Meilleur Film, Meilleure mise en scène et meilleure interprétation féminine, Mostra de Valencia 2022.
Juste une nuit (Ta Farda), Ali Asgari, Iran, 2022. Aux cinémas dès le 30 novembre.
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